La vengeance des frères Soga
Japon
XIXe siècle
Xylographies sur papier japon
Dépôt du musée américain du château de Blérancourt, 1973
Inv. Dsa 39 et 42
Les deux œuvres présentées ici font partie d’une série nommée Soga monogatari réalisée par Utagawa Hiroshige (1797-1858) vers 1845. Cette dernière met en image le récit de la vendetta des frères Soga, une des œuvres majeures de la littérature japonaise.
L’histoire de la vengeance des frères Soga
Cette histoire prend place dans le Japon médiéval, durant l’ère Heian (794-1185), au XIIe siècle, à une époque où les deux puissants clans Minamoto et Taira se livrent une guerre sans merci.
Le shogun Yoritomo, chef du clan des Minamoto, mène alors une politique autoritaire pour unifier le pays : il fait pour cela exécuter tous ceux qui contestent son pouvoir, dont l’ensemble des membres du clan Taira et leurs alliés. Parmi les nombreuses victimes figure le père des deux héros Juro et Goro. Âgés de 3 et 5 ans lors de son assassinat, les deux garçons se retrouvent orphelins. Plus tard, leur mère épouse en secondes noces un homme appelé Soga. Celui-ci adopte le fils le plus âgé, Juro, et envoie son petit frère, Goro, au monastère bouddhiste afin qu’il devienne moine. Le temps passe, les deux enfants deviennent adultes et, bien que séparés, ils sont secrètement déterminés à venger leur père.
Un jour, alors qu’il a 22 ans, Juro apprend que l’instigateur du meurtre de leur père, Suketsune, est sorti de son domaine pour chasser avec le shogun Yorimoto vers le mont Fuji. Il s’empresse d’aller chercher son frère au temple et durant la nuit, en plein orage, ils pénètrent le camp de chasse. Ils repèrent la tente de Suketsune et le tuent. Au lieu de fuir une fois leur vengeance accomplie, les deux frères proclament haut et fort qu’ils ont lavé l’honneur de la famille et réveillent tout le camp. Les soldats du shogun se jettent alors sur eux et, bien qu’ils se défendent vaillamment, ils sont finalement capturés et tués.
La revanche des frères Soga est un sujet récurrent de l’estampe japonaise. La plupart des artistes en ont représenté un ou plusieurs épisodes. Hiroshige a développé l’intégralité de cette histoire épique dans la série Soga monogatari qui comprend une trentaine d’estampes. Les deux exemplaires conservés par le musée correspondent à la planche n°2, qui illustre l’assassinat du père des frères Soga, et à la planche n°17, où les deux frères découvrent l’assassin de leur père en train de chasser.
La planche n°2 : L’assassinat de Kawazu Saburo par Yawata Saburo et Omi Kotoda
Cette estampe est signée par Hiroshige sur la gauche. Juste au-dessus se trouve le cachet rond du censeur Muramatsu Genroku, qui nous permet de dater l’estampe de 1845-1846.
Le titre est quant à lui inscrit dans un cartouche rouge, à droite. On peut y lire Soga monogatari ezu (La légende des frères Soga).
Dans cette estampe, deux archers se tiennent au premier plan, à droite. Entourés par des arbres dont les troncs traversent toute la composition, ils visent un cavalier, accompagné par un long cortège d’hommes à pied, situé au second plan.
Les archers se nomment Yawata Saburo et Omi Kotoda et sont deux soldats de Suketsune. Ils se tiennent en embuscade avec leur arc, prêts à cribler de flèches Kawazu Saburo, le père des frères Soga. Ils sont identifiés grâce aux cartouches portant leurs noms inscrits à leurs côtés : Kotoda sur la gauche et Saburo sur la droite.
Cette première estampe montre les quelques instants qui précèdent le drame qui va bouleverser la vie des deux frères : l’assassinat de leur père.
La planche n°17 : Juro et Goro au terrain de chasse de Miharano
La deuxième estampe est signée à droite par Hiroshige et présente le même cachet du censeur, preuve que les deux estampes font partie de la même série. On retrouve également le titre en haut à droite comme sur l’estampe précédente.
Les deux frères armés, au premier plan, ont leurs noms inscrits auprès d’eux. Goro se tient à gauche et Juro à droite.
Au deuxième plan, une scène de chasse montre cinq personnages, dont deux à cheval, tenant des arcs et des lances. Le troisième plan est dominé par deux hautes montagnes qui occupent toute la moitié haute de l’estampe. Le mont Fuji est probablement celle de gauche.
La qualité esthétique de ces estampes est indéniable, comme le prouve le jeu entre la douceur des couleurs diluées et l’intensité des traits d’un noir profond. Ainsi, le ciel et la terre finisse par se confondre dans la première estampe, tandis que le brouillard semble envelopper la seconde. Alors que le paysage tend à devenir onirique, la présence humaine nous ramène au réel par la précision des détails figurés.
Ces estampes sont la retranscription des thèmes classiques des récits japonais : l’honneur, la loyauté mais aussi la vengeance. Malgré la violence des sujets traités, Hiroshige nous propose ainsi une vision rêvée et épique de son Japon natal, une invitation au voyage et à l’aventure.
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